Sé­cu­rité et li­berté

La sécurité et la liberté sont des valeurs essentielles de notre société. À bien des égards, ces valeurs sont interdépendantes et complémentaires. En effet, aucune liberté n’est possible sans un minimum de sécurité – et la sécurité n’est qu’une cage dorée si elle n'est pas accompagnée de liberté. À l’inverse, des tensions se manifestent souvent entre la sécurité et la liberté. En général, l’affirmation de l’une de ces deux valeurs s’effectue au détriment de l’autre. L’accroissement de la sécurité implique souvent une réduction des libertés – il est également possible de renoncer à certains pans de la sécurité pour jouir pleinement de sa liberté. La problématique de la « sécurité » constitue l’essence même de cette série d'études et ne saurait être analysée indépendamment de celle de la « iberté ». La pandémie de Covid 19 a d’ailleurs parfaitement illustré ce phénomène. La présente édition du Moniteur sur la sécurité se concentre délibérément sur la dualité de ces deux notions.

Tensions

Dans le cadre de la lutte contre la pandémie – et donc aux fins de préservation de la santé de la population - les individus ont vu leurs libertés restreintes d’une manière qui aurait été impensable auparavant au sein de sociétés démocratiques et libérales. À l'inverse, les filets de sécurité mis en place par les gouvernements pour les secteurs économiques touchés par la pandémie ont été acceptés de manière plus inconditionnelle que par le passé. Pendant la crise, les tensions entre sécurité et liberté se sont accrues, car les besoins en matière de sécurité et de liberté se sont retrouvés beaucoup plus souvent en conflit direct que d’habitude.

Dans un tel contexte, comment la population évalue-t-elle l'interaction entre sécurité et liberté ? À laquelle de ces deux valeurs accorde-t-elle plus d’importance en cas de doute ? Le sondage  réalisé cette année  met en évidence que la population actuellement  se divise de manière égale sur cette question. Lorsqu'il s'agit de trancher, une moitié de la population privilégie la liberté à la sécurité, et pour l'autre moitié, c'est l'inverse. Cette indécision dans le bras de fer entre ces deux valeurs fondamentales de notre société reflète l'importance des tensions en jeu. Comme le montre l'illustration 1, le groupe qui privilégie la liberté s'est agrandi (+ 4 points de pourcentage) par rapport à l’année dernière, tandis que celui qui privilégie la sécurité à la liberté s'est réduit (- 4 points de pourcentage).

 

Liberté versus sécurité (Ill. 1)

Mo­ni­teur 2021 de l’ASA sur la sé­cu­rité, Ill. 1 FR

« Si vous deviez faire un choix :  qu’est-ce qui est le plus important pour vous, votre sécurité personnelle ou votre liberté personnelle ? », indications en pour-cent

Dans l'ensemble, les femmes ont davantage tendance que les hommes à prioriser la sécurité à la liberté (Ill. 2). Par rapport à l’année dernière, un glissement s’observe toutefois chez les deux genres en faveur de la liberté. Les variations sont un peu plus différenciées en fonction des classes d’âge : il y a un an, la proportion de ceux qui accordaient davantage d’importance à la liberté qu’à la sécurité était la plus élevée chez les jeunes adultes. La pandémie a contribué à un revirement d'opinion principalement chez les 36 à 65 ans. La proportion de personnes privilégiant la liberté a augmenté de 6 points de pourcentage par rapport à l'année précédente dans les classes d'âges moyens, tandis qu'elle est demeurée constante chez les plus jeunes.

 

Liberté et sécurité – en fonction de l’âge et du genre (Ill. 2)

Mo­ni­teur 2021 de l’ASA sur la sé­cu­rité, Ill. 2 FR

« Si vous deviez faire un choix : qu’est-ce qui est le plus important pour vous, votre sécurité personnelle ou votre liberté personnelle ? », indications en pour-cent

Cela montre que, du fait de leur persistance, les restrictions de la liberté ont contribué à une réévaluation du rapport entre sécurité et liberté, en particulier parmi les classes d'âges intermédiaires. En revanche, les jeunes adultes qui ont été touchés par la pandémie dans les phases de transition aussi bien sur le plan professionnel que privé n’affichent aucun glissement supplémentaire en faveur de la liberté.

Pendant la pandémie, la liberté passe avant la sécurité

Les dessous du changement d’attitude entre 2020 et 2021 deviennent tangibles lorsque les évolutions sont analysées en fonction des orientations politiques. En juin 2020, par exemple, les milieux de droite donnaient encore nettement la priorité à la sécurité par rapport à la liberté. En l'espace d'un an, cette préférence pour la sécurité a chuté de 59 à 44 pour cent (Ill. 3).

 

Liberté et sécurité – en fonction des affinités politiques (Ill. 3)

Mo­ni­teur 2021 de l’ASA sur la sé­cu­rité, Ill. 3 FR

« Si vous deviez faire un choix : qu’est-ce qui est le plus important pour vous, votre sécurité personnelle ou votre liberté personnelle ? », indications en pour-cent

À l’inverse, la proportion de ceux qui donnent clairement la priorité à la liberté a largement décuplé, passant de 12 à 33 pour cent.

Il y a peu de temps encore, les conservateurs avaient tendance à afficher une nette préférence pour la sécurité. En effet, le renforcement de la sécurité intérieure et extérieure face à un monde dangereux consiste en une préoccupation classique des conservateurs. Les mesures continues prises pour freiner la propagation du Covid-19 ont manifestement contribué à accroître la valeur de la liberté aux yeux des personnes des rangs conservateurs. Une tendance vers davantage de liberté est également manifeste parmi les partisans du centre (le produit de la fusion du PDC et du PBD). Ce parti se situe au centre du spectre politique, mais il se positionne comme un centre plutôt conservateur.

À l’inverse, la sécurité revêt une importance de plus en plus grande par rapport à la liberté aux yeux des partisans du PLR et des PVL – les deux partis d’affinités libérales. Alors que la liberté a pris une coloration plus conservatrice l'année dernière, la sécurité est apparemment devenue plus importante pour les penseurs libéraux. Chez les libéraux, la situation pandémique a accru l'importance des mesures gouvernementales de lutte contre la pandémie et de préservation de la sécurité économique. L'estimation du sentiment de sécurité et de liberté n'a guère évolué du côté des partis de gauche. Les personnes proches du PS ou des Verts ont accordé la même importance au sentiment de liberté en 2020 et en 2021. Tout cela montre qu’avec la crise du coronavirus, les ressentis par rapport aux sentiments de sécurité et de liberté ont évolué. Dans le contexte de cette crise, les forces conservatrices valorisent la liberté davantage qu'auparavant, tandis que les penseurs libéraux valorisent la sécurité plus que par le passé.

Le fait que la nouvelle orientation conservatrice en matière de liberté soit effectivement liée à la crise du coronavirus ressort de la question directe sur la liberté personnelle pendant la pandémie. Dans l'ensemble, plus de deux tiers des personnes interrogées considèrent que leur liberté semble être garantie, en dépit des phases de confinement répétées (Ill. 4). Cependant, comme le montre la ventilation de l’illustration 4, l'évaluation des personnes proches de l'UDC diffère fondamentalement de celles de toutes les autres. Quelque 57 pour cent d'entre elles estiment que leur liberté individuelle n'a pas été suffisamment garantie depuis le début de la pandémie contre au maximum un cinquième de toutes les autres personnes aux affinités différentes.

 

Liberté pendant la pandémie (Ill. 4)

Mo­ni­teur 2021 de l’ASA sur la sé­cu­rité, Ill. 4 FR

« Diriez-vous que votre liberté personnelle est bien garantie en Suisse depuis le début de la pandémie de Covid-19 ? », indications en pour-cent

Comme il fallait s’y attendre, les ressentis diffèrent en fonction de l'âge. Les jeunes adultes en particulier n'ont pas toujours considéré leur liberté personnelle comme garantie depuis le début de la pandémie. Du fait de leur situation, ils ont été particulièrement touchés par les restrictions. Par ailleurs, comme ils risquaient moins d’être gravement malades en cas de contamination, les restrictions revêtaient pour eux un intérêt personnel moindre que pour les personnes âgées. Il est intéressant de noter qu’en dépit de cette évaluation critique, l'équilibre entre la liberté et la sécurité n'a pas évolué en faveur de la liberté chez les jeunes adultes. Comme indiqué ci-dessus (cf. Ill. 2), un glissement correspondant est davantage visible chez les adultes de plus de 35 ans.

 

Liberté pendant la pandémie – en fonction des caractéristiques socio-démographiques  (Ill. 5)

Mo­ni­teur 2021 de l’ASA sur la sé­cu­rité, Ill. 5 FR

« Diriez-vous que votre liberté personnelle est bien garantie en Suisse depuis le début de la pandémie de Covid-19 ? », indications en pour-cent

Ce que signifient la sécurité et la liberté

La sécurité et la liberté relèvent des besoins fondamentaux de l’être humain et, comme il ressort de la section précédente, elles entrent souvent en opposition. Ces notions sont des contenants qui peuvent être remplis de différents contenus. Les contenus applicables à la notion de sécurité ressortent de l’illustration 6. La plupart des personnes interrogées se focalisent sur les deux mêmes caractéristiques de la sécurité. La sécurité est associée d'une part à l'intégrité physique (« Être protégé.e de la violence »), et d'autre part à la sécurité financière (« Disposer de moyens financiers suffisants »). La première dimension correspond aux objectifs de sécurité intérieure et extérieure qui sont assurés par la police et l'armée. La deuxième dimension recouvre la notion de sécurité économique qui est assurée par les performances économiques propres de chacun ou par l'État social (l’État-providence). Plus de deux tiers des personnes interrogées considèrent que la sécurité policière et la sécurité sociale sont primordiales. La protection contre toute forme d'arbitraire est également fréquemment mentionnée. Ce principe illustre le concept de l'État de droit. Il s’agit ici d’un autre aspect classique de la sécurité. Il est intéressant de noter qu’une personne interrogée sur trois associe également le facteur santé à la sécurité. Il s'agit là d'une dimension qui ne joue généralement pas un rôle central dans le débat sur la sécurité. Néanmoins, surtout dans le contexte de la pandémie actuelle, l'importance de la santé en tant que paramètre de la sécurité est devenue très aiguë.

 

Signification de la notion de sécurité (Ill. 6)

Mo­ni­teur 2021 de l’ASA sur la sé­cu­rité, Ill. 6 FR

« Que signifie la sécurité pour vous personnellement ? », réponses multiples, indications en pour-cent

Les deux expressions de la sécurité les plus fréquemment citées - intégrité physique et sécurité financière - recouvrent des aspects très différents du concept de sécurité. Par conséquent, on peut s'attendre à ce que la fréquence relative de leur mention varie considérablement au sein de la société. Toutefois, l’illustration 7 montre que ces deux aspects sont mentionnés par au moins deux tiers des personnes interrogées, ceci indépendamment de leur genre, de leur âge et de leur orientation politique.

 

Signification de la notion de sécurité  (Ill. 7)

Mo­ni­teur 2021 de l’ASA sur la sé­cu­rité, Ill. 7 FR

« Que signifie la sécurité pour vous personnellement ? », réponses multiples, indications en pour-cent

Parmi les petites différences qui existent néanmoins, deux en particulier sont un peu plus prononcées : les jeunes adultes évoquent particulièrement souvent la protection contre la violence physique par rapport à la sécurité financière. Une différence similaire s’observe également auprès des répondants proches de l'UDC. Seuls les répondants proches du PS mentionnent l'aspect financier de la sécurité un peu plus fréquemment que celui de l'intégrité physique. Même si cela reflète une pondération légèrement différente entre les partis de gauche et ceux de droite, le point décisif reste que la plupart des gens – indépendamment de leurs affinités politiques – considèrent ces deux aspects comme importants. La sécurité s’entend donc communément dans un sens large.

Si la sécurité se définit pour la plupart des personnes interrogées par les trois composantes que sont la sécurité physique et financière ainsi que l'État de droit, les contours de la liberté sont un peu moins évidents. Ce qui est très clair, en revanche, c'est ce que presque tous les répondants considèrent comme étant au cœur de leur liberté personnelle : il s'agit de la liberté d'expression et de la liberté de mouvement, qui sont mentionnées par près de neuf répondants sur dix (Ill. 9). Pour une grande majorité des personnes interrogées, le droit de participer à la vie publique (démocratie) constitue également un élément important de la liberté (76 pour cent).

 

Signification de la notion de liberté (Ill. 8)

Mo­ni­teur 2021 de l’ASA sur la sé­cu­rité, Ill. 8 FR

« Que signifie la liberté pour vous personnellement ? », réponses multiples, indications en pour-cent

Le fait de pouvoir décider soi-même ce que l’on veut faire (action autodéterminée) est souvent mentionné (79 pour cent). Il est intéressant de constater que l'aspect d’une action relevant de sa propre responsabilité (responsabilité individuelle) est mentionné beaucoup moins fréquemment (65 pour cent) que celui d’une action autodéterminée. La liberté s’entend donc davantage comme la possibilité de se libérer des contraintes (liberté négative) que comme la liberté de concevoir (liberté positive). La liberté est encore moins souvent associée au fait de pouvoir oser faire des choses (30 pour cent). Cela montre que seule une minorité de la société suisse comprend la liberté comme étant la possibilité de prendre des risques spécifiques dans le but d’atteindre quelque chose de particulier.

Comme pour le concept de sécurité, les différences entre les couches de la population sont minimes. Cependant, dans trois domaines au moins, les réponses diffèrent fortement en fonction de l'âge des personnes interrogées. Alors que l’âge avançant, l'autodétermination revêt une importance légèrement moindre, c’est le contraire pour la responsabilité individuelle. Le rôle de la liberté matérielle progresse plus fortement encore : le fait de disposer de moyens financiers suffisants est clairement plus souvent compris comme une caractéristique de la liberté par les personnes âgées que par les jeunes.

 

Signification de la notion de liberté – en fonction de l’âge (Ill. 9)

Mo­ni­teur 2021 de l’ASA sur la sé­cu­rité, Ill. 9 FR

« Que signifie la liberté pour vous personnellement ? », réponses multiples, indications en pour-cent