Risques émergents – Rôle de l’assureur responsabilité civile
La problématique des « risques émergents », encore peu considérée en tant que telle il y a une quinzaine d'années, est aujourd'hui confiée à des spécialistes hautement qualifiés, surtout chez les principaux réassureurs. Il s’agit avant tout d'identifier les risques de demain.
La gestion des risques émergents représente un véritable défi pour les personnes chargées de la souscription dans la mesure où, compte tenu de l'évolution rapide de l'environnement juridique, social et technologique, il faudrait souvent être devin pour identifier à temps les développements problématiques. Il est donc nécessaire de mettre en place une stratégie de gestion prospective afin de réagir en temps voulu et de manière appropriée à la situation de menace spécifique générée par les risques émergents. Une telle approche devrait comporter les éléments suivants :
- détection précoce (et recensement) des risques émergents,
- analyse des risques émergents,
- application de mesures (de souscription).
Ce processus permet de réunir les conditions requises pour détecter les modifications du paysage des risques, à la manière d’un système d’alerte précoce ou de radar, et développer les solutions adéquates. Pour être utiles, les systèmes d’alerte précoce doivent convertir des signaux faibles, incompréhensibles et difficilement interprétables par les néophytes en critères de décision, voire en instructions, clairement compréhensibles.
Identification précoce des risques émergents par l’assureur
L’objectif de cette première phase consiste dans l’identification la plus précoce possible des signaux indiquant la présence de risques émergents potentiels. L’environnement de la responsabilité civile doit être « balayé » comme avec un radar à 360° afin de détecter les modifications susceptibles d’influer négativement sur le paysage des risques. Les évolutions techniques, scientifiques, sociales et juridiques occupent le premier plan de telles observations, car elles sont susceptibles de se traduire par l’occurrence d’un risque émergent.
Les articles parus dans la presse et les publications spécialisées, les recherches sur l'Internet, la participation à des séminaires ainsi que l’échange de renseignements avec des collègues, des clients et des spécialistes doivent être considérés comme autant de sources d’information.
L’art du dépistage précoce ne consiste pas à pressentir les futurs développements tel un devin mais à identifier le plus tôt possible des modifications qui se sont déjà produites, ainsi que leurs circonstances, à l’aide des moyens à disposition.
Analyse des risques émergents par l’assureur
Dans un deuxième temps, les risques émergents identifiés doivent être classés en fonction de leur pertinence pour l’assureur concerné à l’aide d’une codification des risques (par exemple échelle de couleurs « jaune, orange, rouge »), en tenant compte des aspects suivants :
- source des risques émergents constatés (par exemple nouvelle technologie) en tenant compte d’éventuelles interactions avec d’autres facteurs d’influence ;
- probabilité d’occurrence effective du risque ;
- types de dommages concernés (dommages corporels, dommages matériels, dommages économiques purs, dommages à l’environnement) ;
- propagation géographique possible ;
- degré de dangerosité au cas par cas (risques petits, moyens, grands, catastrophiques) ;
- potentiel d’éventuels dommages en série ;
- scénario catastrophe concernant l’ampleur possible des dommages au sein du portefeuille de l’assureur concerné, en tenant compte d’un éventuel potentiel de dommages cumulés ;
- mode de perception par le public (par exemple médias, débats politiques, associations de protection des consommateurs, etc.) ;
- pertinence en matière de droit de la responsabilité civile (par exemple preuve du lien de causalité par rapport à la source du risque et aux dommages consécutifs, ainsi que l’identification éventuelle d’un respon-sable avéré) ;
- mesures officielles éventuelles (par exemple interdictions, prescriptions de sécurité, durcissement des règles relatives à la responsabilité, obligations d’assurance, etc.).
Cette classification des risques émergents constitue une base pour déterminer le type et l’urgence des mesures à prendre.
Mesures des assureurs en matière de risques émergents
Dans le cadre de la gestion actuarielle des risques émergents, l’assureur responsabilité civile doit d’abord s’interroger sur l’assurabilité de tels risques. Les caractéristiques des risques émergents détaillées ci-dessus montrent que ces derniers ne sont pas d’emblée compatibles avec les critères généralement reconnus qui conditionnent l’assurabilité des risques. D’autre part, les assureurs vivent du fait qu’ils prennent en charge des risques. En conséquence, l’assureur responsabilité civile ne doit pas se soustraire à ses engagements, mais au contraire les respecter en tenant compte des besoins des entrepreneurs de la manière la plus exhaustive possible, tout en restant contrôlée. Pour l’assureur responsabilité civile, il s’agit donc de trouver le juste équilibre entre le refus de la prise en charge des risques (dont se plaint fréquemment l’industrie) et une souscription trop risquée (dont se plaignent les contrôleurs et analystes). Mais à cette fin, il a besoin d’un système sensoriel solide, axé sur les risques, pour faire face aux conséquences négatives radicales que peuvent entraîner les risques émergents.
Pour couvrir les conséquences négatives que peuvent avoir pour lui des dommages potentiels causés par des risques émergents, l’assureur responsa-bilité civile dispose par exemple des options suivantes :
- à l’aide d’obligations, faire en sorte que l’ensemble des possibilités techniques visant à limiter le risque soient exploitées et que les recommandations appropriées ainsi que les valeurs limites en vigueur soient respectées ;
- limiter les montants à couvrir en convenant de seuils pour certains risques ;
- au regard du potentiel que représente une multitude de personnes concernées, prévoir une clause efficace applicable aux dommages en série. Il convient de noter que le regroupement actuariel escompté de plusieurs dommages provoqués par une même cause dans le cadre d’un événement unique n’est efficace que si le risque émergent concerné est considéré comme la cause commune à tous les sinistres qui en résultent ;
- compte tenu de l’application approximative des dispositions légales dans certains pays (par exemple États-Unis, Canada), une restriction de la validité territoriale peut s’imposer ;
- les risques émergents étant souvent des risques à long terme, prévoir un rattachement précis des cas d’assurance à prendre en charge à une période d’assurance donnée, et donc à un contrat d’assurance donné. En règle générale, l’adoption du principe de la réclamation (principe « claims made ») s’impose pour définir le champ d’application temporel ;
- accord sur une garantie unique par année d’assurance ;
- accord sur des franchises supérieures ou spécialement aménagées ;
- exclusion de couverture du risque émergent concerné ou de certaines de ses composantes.
Jouent également un rôle important une communication claire sur la politique de souscription et la publication de directives de souscription spéciales concernant la gestion actuarielle des risques émergents ainsi que l’ouverture le plus tôt possible d’un dialogue sur les risques avec les entreprises concernées, les autorités et les autres organismes impliqués.
Une gestion professionnelle des risques émergents, fondée sur un système d’alerte précoce opérationnel, pourrait également offrir des opportunités au secteur de l'assurance. Ainsi, par exemple, le développement de produits d'assurance et de services innovants permettrait de générer de nouveaux champs d'activité.