Responsabilité face à l’avenir
La branche de l’assurance sous le signe d’une réelle durabilité
Les préoccupations des jeunes, autant d’obligations pour les plus âgés
Par Claudia Wirz
Si les jeunes se préoccupent uniquement de leur propre rente de vieillesse, et si le changement climatique pousse régulièrement des milliers d'étudiants dans la rue, alors les adultes n’ont pas été à la hauteur. Les préoccupations des jeunes générations sont justifiées. En la matière, le secteur de l’assurance est aux avant-postes et met tout en œuvre pour que nous laissions un beau patrimoine aux générations futures, et non des dettes.
Chaque génération hérite de ce que ses prédécesseurs lui ont laissé : c'est là une loi fondamentale de l'existence humaine. Et, la plupart du temps, les successeurs n'ont pas à se plaindre, car le niveau de vie augmente habituellement de génération en génération. Or, les choses n’évoluent pas toujours dans le bon sens. « La loi et les droits se succèdent comme une éternelle maladie », déclare le Méphistophélès de Goethe. Et, en poursuivant sa pensée, le diable de conclure : « Raison devient folie, bienfait devient tourment : malheur à toi, fils de tes pères, malheur à toi ! »Si le diable avait parlé ici de la prévoyance vieillesse suisse ou de la politique climatique, il aurait parfaitement traduit l’atmosphère actuelle dans le pays. Dans ces deux domaines, le contrat de génération est en effet rompu.
En prévoyance vieillesse comme en politique climatique, les approches de solution sont bonnes uniquement lorsqu’elles s’inscrivent sur le long terme. Cela signifie que les décisions d’aujourd’hui doivent tenir compte des besoins de demain. Une redistribution systématique en faveur des plus âgés et au détriment des jeunes et des générations à naître n’est ni juste ni durable.
Entre souhait et réalité
Bien que l’on sache tout cela, les réformes allant dans le sens d'une véritable durabilité s’avèrent compliquées. Les politiques manquent souvent de courage pour prendre les mesures qui s'imposeraient, que ce soit parce qu’ils s’efforcent de préserver les intérêts de leur clientèle politique ou parce qu’ils pensent à leur propre réélection. Par exemple, un relèvement de l'âge de la retraite, parfaitement légitime au vu de l'évolution démographique, a peu de chances de passer et ne peut être financé à grands frais, et encore, que par de nouvelles redistributions. Il en va de même de la réduction du taux de conversion dans le 2e pilier. Cela n’a pas grand-chose à voir avec une réelle durabilité.
Certaines des incitations encouragent parfois explicitement une tendance inverse. En Suisse, les départs anticipés à la retraite sont bien plus nombreux que l’exercice de l’activité au delà de l’âge ordinaire. En 2018, une étude représentative de Deloitte Suisse a conclu que 40 pour cent des travailleurs des tranches d’âge supérieures aimeraient continuer de travailler après la retraite. Néanmoins, seulement 23 pour cent des 65-69 ans restent effectivement sur le marché du travail. En la matière, il y a un écart très net entre souhait et réalité. Ce phénomène se reflète dans la proportion des préretraités. Près de 40 pour cent des hommes de 64 ans prennent une retraite anticipée. Chez les 63 ans, ils sont 30 pour cent environ. Cela n’est en aucun cas une bonne chose en termes de durabilité.
Du bienfait au tourment
L’exemple de l’AVS illustre comment un bienfait peut se transformer en tourment, pour reprendre la citation du « Faust » ci-dessus. L’AVS existe depuis 1948. Or, ce qui était censé garantir une retraite sereine s’est transformé en 60 ans à peine en le principal sujet d'inquiétude des jeunes. En Suisse, ils sont 53 pour cent à considérer que leur propre rente de vieillesse constitue de loin leur principale source de préoccupations. C'est ce que révèle le dernier Baromètre de la jeunesse du CS de 2018. Ni le chômage, ni la numérisation, ni la migration, ni même les problèmes environnementaux n'inquiètent autant les jeunes en Suisse que leurs rentes de vieillesse.
Le bilan est tout autre à Singapour, aux États-Unis ou au Brésil, que le Baromètre de la jeunesse du CS utilise à titre de comparaison. Les plus grands soucis des jeunes sont par exemple le chômage aux États-Unis et à Singapour ; au Brésil, c’est la corruption, mais elle est néanmoins suivie de près également par la crainte de perdre son emploi, voire de ne même pas trouver de travail. Dans aucun de ces pays, les rentes de vieillesse ne sont le sujet de préoccupation par excellence des jeunes générations.
Comment se fait-il que ce soit justement en Suisse, pays riche, que les jeunes se laissent perturber par des considérations aussi déprimantes que le vieillissement de la population, les déductions salariales et l’épargne-retraite ? Ne serait-ce pas le privilège des jeunes de se sentir indomptables, audacieux et libres ? De bâtir des projets sans contrainte ni inquiétude particulière ? Et d’investir autant de ressources que possible dans la formation ? Par ailleurs, est-ce vraiment de bon augure que les plus âgés se réjouissent de cette nouvelle prise de conscience des plus jeunes concernant la problématique de la prévoyance vieillesse, à l’instar de Boris Zürcher du Secrétariat d'État à l'économie (Seco) dans le Baromètre de la jeunesse du CS ? Et pour quelles raisons, je vous le demande, les problèmes de financement des assurances sociales ne cessent-ils pas de s’exacerber alors même que les cotisations obligatoires augmentent ?
La réponse se trouve dans l’immobilisme en matière de réforme. Tant que les partis et les associations camperont sur leurs positions, il n’y aura pas de réforme durable de la prévoyance vieillesse. Certes, l’espérance de vie moyenne a baissé en Suisse ainsi que dans d’autres pays industrialisés en 2014 et 2015. Or, elle remonte nettement depuis 2016. On peut supposer que l’augmentation de l’espérance de vie s’accompagne d’une hausse du nombre d’années en bonne santé. Là encore, cela va dans le sens de l’exercice d'une activité lucrative au delà de 65 ans, ce qui correspond manifestement au souhait d’une grande partie de la population. Il est indispensable de lier la prévoyance vieillesse à la réalité démographique, économique et sociale. Ceux qui font l’autruche pour des raisons d’ordre idéologique afin de flatter leur électorat à court terme ne rendent pas service aux générations futures sur le long terme.
Au final, nous n’avons le choix qu’entre quatre mesures pour assurer le financement durable et pérenne de la prévoyance vieillesse : relèvement de l’âge de la retraite, réduction des rentes, augmentation des cotisations ou encouragement du travail des personnes âgées.
La réponse se trouve dans l’immobilisme en matière de réforme.
Pas de Greta pour la prévoyance vieillesse
L’économiste Fribourgeois Reiner Eichenberger est convaincu que si l’on arrivait à encourager les actifs à travailler plus longtemps, cela pourrait faire des miracles. Si le travail au delà de 65 ans était accompagné des bonnes incitations – par exemple une imposition partielle des revenus du travail des personnes âgées et un rabais sur les cotisations en cas d’ajournement de la rente de vieillesse – la vieillesse deviendrait ce qu’elle est en réalité : un signe de richesse et une source de prospérité.
Par contre, un âge de la retraite fixe est problématique, d’après Eichenberger. Pour les entreprises, plus leurs collaborateurs s’approchent de l’âge de la retraite, moins il est rentable d'investir dans ces derniers, déclare l’économiste. Il fait le même constat pour les personnes concernées elles-mêmes : plus l’âge de la retraite approche, moins elles estiment utile d'investir dans leurs propres qualifications. Du coup, les collaborateurs plus âgés deviennent automatiquement des « canards boiteux ». Le niveau élevé des charges salariales et le principe de l’ancienneté dans la politique salariale renforcent encore ce phénomène. Un mécanisme qui ne peut être enrayé, estime Eichenberger, que si des mesures d’incitation intelligentes rendent le travail à un âge avancé plus attrayant.
Même si une réforme de la prévoyance vieillesse serait dans l’intérêt des jeunes générations, celles-ci ne descendent toutefois pas dans la rue. Les mathématiques actuarielles font trop peu appel aux émotions pour être mises en scène sous la forme d'un happening public. Bien que les partis de la jeunesse s’emparent de cette question, aucune Greta Thunberg de la prévoyance vieillesse ne se dégage. D’autant plus que l’argent et les biens matériels semblent jouer un rôle secondaire auprès des jeunes ; l’air du temps est en effet plutôt à un certain scepticisme face à la croissance. A notre époque de changement climatique, de fléau plastique et de fonte des glaciers, l’économie collaborative, le véganisme et l’auto-restriction sont en plein essor – du moins au premier abord. A y regarder de plus près, les jeunes gens ne sont que des individus comme les autres – avec leur lot de contradictions. La vision bourgeoise de la famille idyllique n’a pas disparu, loin s’en faut. En Suisse, 84 pour cent des 16-25 ans rêvent d’accéder à la propriété ; cela aussi, le baromètre du CS l’a montré – économie collaborative ou pas.
Il faut donc s’attendre à ce que des familles continuent de se former et des maisons de se construire. Raison de plus pour que la génération des adultes (plus âgés) laisse à ses descendants un monde dans lequel ces rêves de prospérité et d'environnement intact demeurent réalisables. Pratiquement aucun autre secteur que l’assurance n'a une affinité aussi prononcée pour les actions prospectives. Il vit de la représentation qu’il a de l’évolution future des individus, de l’environnement et des conditions de vie. Après tout, les assurances bercent leurs clients de promesses sur le long terme qu’elles se doivent d’honorer. Les conséquences du changement climatique, en particulier, ne peuvent pas laisser les assureurs de marbre.
A cet égard, le secteur de la construction joue un rôle central en Suisse. La croissance démographique, la prospérité et la mobilité entraînent une urbanisation rapide des terres agricoles. D’après la Statistique suisse de la superficie, les surfaces d’habitat croissent même plus rapidement que la population. Ainsi, non seulement le nombre d’objets à assurer augmente, mais l’imperméabilisation des sols ne reste pas non plus sans conséquence.
L’investissement durable n’est ni un phénomène de mode, ni incompatible avec de bons rendements.
La puissance de l’eau
Le ruissellement dit de surface, qui se produit lorsque de grandes quantités de pluie tombent en peu de temps et s'écoulent sur les terrains découverts, représente aujourd’hui déjà plus de 50 pour cent des dégâts des eaux, avec des conséquences parfois dramatiques. Personne ne souhaite revoir des images comme celles du refuge pour animaux de Schaffhouse, inondé après un épisode de fortes précipitations en mai 2013. Une quarantaine de bêtes, dont de nombreux chiens et chats, ont alors péri noyées. Afin d’éviter de telles scènes de désolation à l’avenir, l’Association Suisse d’Assurances ASA a élaboré en étroite collaboration avec les autorités une carte des dangers, librement accessible au public. Celle-ci permet aux urbanistes et aux propriétaires de bâtiments d'identifier en quelques clics les zones particulièrement exposées à l’écoulement des eaux de surface et de prendre les mesures structurelles nécessaires.
Nombre de compagnies d’assurances lancent leurs propres projets en faveur de la durabilité. Citons le reboisement des forêts protectrices, un engagement auquel les clients aussi sont invités à participer en parrainant l'arbre de leur choix. A l’instar de la forêt protectrice, la plantation d'un arbre est symbolique d'un investissement durable et d'une approche responsable de la nature par l'homme. Le secteur de l’assurance s'implique également dans la recherche sur les risques naturels. Fortement représentées à Zurich, les réassurances contribuent de manière non négligeable à la compréhension et à la maîtrise des conséquences du changement climatique.
Il va sans dire que, pour le secteur de l’assurance, la politique d'investissement doit également obéir à l'exigence de durabilité. Investir des capitaux en toute connaissance de cause constitue un instrument puissant de promotion de la durabilité. Dès 2016, l’industrie de l’assurance s’est prononcée en faveur du respect de l’accord de Paris sur le climat. De nombreuses entreprises du secteur ont défini dans leurs stratégies d'investissement des critères excluant certaines activités particulièrement polluantes. Même les caisses de pension dressent un état des lieux de leurs investissements en termes de durabilité.
L’investissement durable n’est ni un phénomène de mode, ni incompatible avec de bons rendements. Bien au contraire, les investissements durables s’avèrent intéressants, y compris du point de vue économique, car ils s’inscrivent sur le long terme et sont donc moins volatils. Du coup, « le risque est moins grand, ce qui améliore le rendement ajusté aux risques », a déclaré le principal responsable de la gestion des risques à Swiss Re, Patrick Raaflaub, il y a un an déjà lors de la conférence du secteur de l’assurance.
Cependant, le chemin est encore long avant que le changement climatique ne s'installe. Une chose est néanmoins déjà acquise : l’économie suisse – en particulier, le secteur de l’assurance – est parfaitement consciente de sa responsabilité sociale. La conjonction de la subsidiarité, de l'économie de marché et de la responsabilité sociale est également une bonne chose lorsqu'il est question de salut financier et environnemental des générations futures.
Atteindre des objectifs sociaux et écologiques
Ils doivent être sûrs et durables, tout en générant de bons rendements. Sandro Meyer, Head of Life et membre de la direction de Zurich Suisse ainsi que membre du comité Vie de l’ASA, évoque les attentes envers les placements des assureurs. Et l’impact de la crise du coronavirus.
Optimiste par nature : Sandro Meyer.
Avez-vous déjà assisté à la Bourse à une crise similaire à celle du coronavirus ?
Oui, j’ai travaillé pour la Zurich à Chicago de 2006 à 2010. Avec ma famille, j’ai alors été confronté de très près à la crise financière. Certains de nos voisins ont dû vendre leur maison en quatre semaines à peine. Avec la crise d’aujourd'hui, le recul des actions est encore plus prononcé ; leur volatilité a même dépassé celle de la crise financière de 2008.
Quand avez-vous compris qu’il s’agissait d’une crise sans précédent ?
C’était très clair pour moi dès le départ, car j’avais suivi de près le nombre de personnes infectées en Italie. J’ai des origines italiennes du côté maternel, et ma femme est italienne. Nous avons donc réalisé assez tôt la gravité de la situation.
L’année 2019 a été une bonne année sur les bourses. La crise du coronavirus a réduit à néant en quelques jours les bénéfices réalisés jusque-là – le financement de la prévoyance vieillesse s’est-il dégradé de manière durable ?
Non, clairement pas, en dépit de la gravité de la situation. Les inventeurs du deuxième pilier ont prévu des bases très solides au cours des années 1970 et ont veillé à ce qu’elles soient mises en œuvre correctement. Les caisses de pension et les fondations investissent sur de très longues périodes, ce qui leur permet de se montrer résistantes lors d’épisodes tumultueux et de marchés à la baisse.
L’effet négatif de la crise du coronavirus est-il encore aggravé par le contexte de la faiblesse des taux d’intérêt ?
Comme les taux d’intérêt étaient déjà faibles avant la crise, il est certain que la banque centrale disposait d’une marge de manœuvre moins importante par rapport à des situations similaires dans le passé. Un grand nombre de pays ont néanmoins réagi très fermement à cette situation de départ délicate.
Je suis convaincu que nous sortirons tous plus forts de la situation actuelle.
Avant la crise, la situation était déjà difficile. Faiblesse des taux d’intérêt et objectifs de rendement, de durabilité et de sécurité – avez-vous encore plaisir à travailler dans de telles conditions ?
Je suis un optimiste né. Je suis convaincu que nous sortirons tous plus forts de la situation actuelle. Derrière le concept de l'investissement responsable, il y a l’idée non seulement d'investir pour dégager un certain rendement, mais aussi pour atteindre des objectifs sociaux et écologiques. Ces objectifs ne s’excluent pas forcément les uns les autres. Zurich est la première entreprise au monde à s’être assignée comme but, non seulement de prévenir certains risques en procédant à des investissements durables, mais aussi d’atteindre des objectifs allant au delà. Dans les faits, nous sommes en train de placer 5 milliards de dollars dans des investissements dits d’impact. Quelque 4,5 milliards ont déjà été investis. Avec cet argent, nous entendons réduire les émissions de CO2 de 5 millions de tonnes et améliorer les conditions de vie de 5 millions de personnes.
Les assureurs investissent sur de longues durées. Ces placements ne sont-ils pas intrinsèquement tenus à une exigence de durabilité ?
Oui, absolument. L’assurance tend avant tout vers un but social. Elle repose sur le postulat selon lequel un groupe d’individus prend en charge les pertes que chaque individu ne pourrait pas assumer seul. Les clients mettent leurs réserves en commun par le biais de polices d'assurance afin de rendre supportables les risques auxquels une personne ne peut pas faire face seule. L’investissement durable est une approche de gestion de ces réserves. Il améliore notre capacité à bien gérer, car il atténue le risque de pertes financières tout en créant de nouvelles opportunités de rendements financiers.
La durabilité est-elle un sujet à la mode ou a-t-elle réellement modifié en profondeur les habitudes d’investissement ?
Pour Zurich, la durabilité n’a absolument rien d'un phénomène de mode. Nous œuvrons en faveur d'une réorientation durable des comportements d'investissement.
Les critères de durabilité représentent-ils un défi supplémentaire ?
Les instruments conventionnels d'évaluation des risques et des rendements reposent sur des informations qui, bien que facilement quantifiables en dollars et en cents et agrégées à partir des bilans ou des comptes de résultats, ne donnent pas toujours une image complète de la situation. C’est la raison pour laquelle, Zurich a commencé il y a plusieurs années de cela à enrichir ces informations de sorte que nous puissions également tenir compte d’objectifs de durabilité. Nous avons complété l’évaluation traditionnelle et y avons ajouté trois dimensions non financières. Il s’agit des aspects écologiques et sociaux ainsi que de celui de la gouvernance. Cet ajout a tout naturellement entraîné une surcharge de travail. Toutefois, nous sommes convaincus que ces efforts en valaient la peine, car nous sommes désormais mieux à même d'investir nos actifs sur le long terme.
En matière de durabilité, les médias se penchent essentiellement sur la question du climat. Quelle pondération est appliquée lors de l’évaluation des placements ? Quels rôles jouent les critères sociaux ?
Notre stratégie d’investissement à impact nous permet de nous appuyer sur les marchés des capitaux pour apporter des solutions et des financements à nombre de problèmes sociaux ou environnementaux criants de notre époque.
Tenez-vous également compte des clients plus jeunes lorsqu'il est question de la sécurité des retraites ?
Oui, car la discussion de la redistribution entre les générations, jusque-là l’apanage des experts, est aujourd’hui un sujet de préoccupation par excellence de l’ensemble de la société. Les jeunes se demandent justement si l’équité entre les générations n’est plus un vain mot et si leurs retraites ne risquent pas de ne plus être garanties à long terme.
Certains sont critiques et avancent qu’il y a trop de capital bon marché, qu’épargner davantage rend le capital encore moins cher. L’épargne fonctionne-t-elle encore ?
Actuellement, il y a beaucoup de capital, c’est un fait. Or, les gens enjolivent souvent le passé. Avant, l’inflation était souvent supérieure aux taux d’intérêt. Pourtant, tout le monde était content. Les valeurs ont augmenté en termes nominaux, pas en termes réels. Je suis convaincu que l’épargne fonctionne encore et qu’elle a un rôle à jouer. Nous devrons peut-être juste nous contenter de rendements plus faibles à moyen terme. L’épargne pour moi, c’est simplement mettre un montant de côté que je pourrai utiliser ou dont j’aurai besoin dans le futur. C’est une vision très classique.
Dans le contexte de la faiblesse des taux d'intérêt, on parle aussi de « nouvelle normalité ». À votre avis, qu’est-ce qui pourrait faire remonter les taux d’intérêt ?
En principe, les taux d’intérêt peuvent s’inscrire à la hausse, comme à la baisse. Nous l’avons bien vu ces derniers mois. La société doit bien prendre conscience d’une chose : en termes de politique monétaire et d’endettement, nous abordons une région encore inexplorée. C’est la raison pour laquelle, il est très difficile de prédire ce qui pourrait faire remonter les taux d'intérêt, justement au regard de l’âge moyen de plus en plus élevé de la population. Pour autant, nous ne pouvons pas partir du principe que les taux ne remonteront jamais.
Premier rapport sur la durabilité
Pour la première fois, les assureurs privés rendent compte de leurs efforts dans le domaine de la durabilité.
Une grande partie des compagnies membres appliquent déjà des critères ESG dans
leurs processus de placement. Près de 86 pour cent des placements de capitaux effectués par les compagnies membres participantes reposent sur un processus d’investissement impliquant des critères ESG. Tel est l'un des enseignements du rapport sur la durabilité. C’est la première fois que les assureurs privés communiquent ensemble sur leurs activités dans le domaine de la durabilité. Le rapport repose sur les données de 32 compagnies membres, lesquelles détiennent 94 pour cent des capitaux placés par les assureurs privés. D’après la Finma, l’assurance privée gère au total 582 milliards de francs de capitaux au 31 décembre 2018.
La consommation d’énergie diminue
Le rapport couvre trois domaines. Il fournit des informations sur les investissements effectués, mais aussi sur la souscription et l’écologie en entreprise. Concernant cette dernière, les données montrent que 78 pour cent des compagnies participantes établissent déjà un bilan écologique en interne et le publient pour la plupart chaque année. Par rapport à l’année précédente, l’année 2018 enregistre une diminution de la consommation d’énergie ainsi que des émissions de CO2 en équivalent plein temps.
Il n’y a toujours pas de base de données commune
En matière de souscription, les assureurs sont relativement actifs, même s’il n’existe pour le moment pas de base de données qui permettrait de dresser des constats quantitatifs. Les mesures prises individuellement par les entreprises montrent néanmoins les directions dans lesquelles des efforts sont entrepris. Le rapport s’appuie sur des exemples concrets pour illustrer ce qui est déjà en place, notamment la manière dont les compagnies membres de l’ASA ont défini des directives claires en matière d’exclusion des énergies fossiles.
La base de données du rapport sur la durabilité continuera d’être étoffée. Le rapport fournira régulièrement des informations sur les mesures prises et leur efficacité. Les assureurs privés suisses prônent la responsabilité individuelle et entendent soutenir la comparaison avec les éventuelles normes internationales.
Réforme de la prévoyance professionnelle
Mi-décembre 2019, le Conseil fédéral a lancé la consultation. Peu avant la fin de la procédure, le délai a été prolongé de deux mois jusqu’à fin mai 2020.
L’Association Suisse d’Assurances ASA a remis mi-mars 2020 sa réponse issue de la consultation sur la proposition du Conseil fédéral relative à la réforme de la prévoyance professionnelle (Réforme LPP). L’abaissement du taux de conversion minimal LPP à 6,0 pour cent en une fois constitue le cœur de la réforme. Cela implique l’introduction d’une cotisation destinée à financer le taux de conversion. L’ASA estime ces mesures inévitables et les approuve en conséquence sans réserve telles que proposées.
L’ASA salue l’objectif de maintien du niveau des prestations en dépit de l’abaissement du taux de conversion. Elle considère néanmoins que certains points doivent être améliorés concernant les mesures de compensation : elle conseille une réduction moins importante de la déduction de coordination, un lissage plus modéré des bonifications de vieillesse ainsi qu’une épargne vieillesse plus précoce. L’ASA rejette le supplément de rente proposé ainsi que le financement envisagé en la matière. Cela reviendrait à introduire dans le deuxième pilier un élément anti-systémique organisé selon un système par répartition, ceci de surcroît pour une durée indéterminée.
La proposition de réforme du Conseil fédéral s’appuie largement sur le projet présenté en juillet 2019 par l’Union syndicale suisse, Travail.Suisse et l’Union patronale suisse. Au regard du caractère incontournable et urgent de cette réforme, l’ASA réclame qu’un projet de loi soit soumis au Parlement dans les plus brefs délais.
Les défis de la prévoyance vieillesse
Par Christoph A. Schaltegger
La situation financière de l’assurance vieillesse et survivants (AVS) financée par répartition se dégrade à vue d'œil. Depuis 2014, les recettes courantes ne couvrent plus les dépenses courantes. Au regard du régime en vigueur, le fonds AVS devrait être épuisé dès 2034. Les causes démographiques de ce phénomène sont connues depuis longtemps : diminution du taux de natalité et augmentation de l’espérance de vie. Ces difficultés ne manqueront pas de s’accroître au cours des prochaines années lorsque la génération des baby-boomers prendra sa retraite. Le déséquilibre entre retraités et actifs s’accentuera progressivement. Un relèvement de l’âge de la retraite est donc tout indiqué.
Christoph A. Schaltegger est professeur d’économie politique et membre fondateur de la Faculté des sciences économiques de l’université de Lucerne.
D’autant plus que le marché du travail est, semble-il, bien préparé à un tel relèvement. Les salariés séniors sont particulièrement bien intégrés sur le marché du travail suisse. La participation de la population âgée au marché du travail augmente depuis des années et est très élevée en comparaison internationale. Il n’y a pas de réel problème de chômage pour les salariés des tranches d’âge supérieures : comparées à d’autres groupes d’âge, le taux de chômage y est toujours inférieur à la moyenne. Il est vrai que les salariés plus âgés sont plus souvent touchés par un chômage de longue durée. Néanmoins, l’assurance chômage tient déjà compte de cette problématique à l’heure actuelle puisque la durée de perception des prestations est plus longue à partir de 55 ans. Ces prochaines années, l’évolution démographique ne manquera pas d’entraîner une raréfaction notable de l’offre de travail, ce qui devrait stimuler la demande de main d'œuvre plus âgée.
En termes de santé aussi, nous sommes a priori prêts pour un relèvement de l’âge de la retraite. Grâce à l’accroissement du niveau de vie et au progrès médical, l’espérance de vie s’est fortement inscrite à la hausse au cours du 20e siècle en Suisse. Or, non seulement les individus vivent plus vieux, mais ils restent aussi plus longtemps en bonne santé. La recherche montre que le processus de vieillissement a reculé d’une dizaine d’années (« 70 ans, c’est la nouvelle soixantaine »). En 1992, les personnes de 65 ans pouvaient encore espérer passer en moyenne 11 à 12 années en forme ; aujourd'hui, elles ont gagné 3 années de plus. Dans la classe d’âge des 55-64 ans comme dans celle des 65-74 ans, trois quarts des personnes des deux sexes évaluent leur état de santé de bon à très bon. L’âge de 65 ans n’est pas un seuil à partir duquel les problèmes de santé se multiplieraient de manière notable. Pour la plupart des Suisses, un départ à la retraite à 67 ans ne poserait déjà pas de problème aujourd’hui en termes de santé.
Si les choses sont si évidentes, pour quelles raisons les politiques n’interviennent-ils pas ? La politique des retraites touche toutes les générations, mais est menée dans le cadre du « marchandage » habituel entre les générations actuelles. Seules les générations d’aujourd'hui sont appelées à prendre les décisions. Il est donc extrêmement compliqué de définir des solutions durables et équitables toutes générations confondues dans le cadre des affaires politiques courantes. Il est beaucoup plus facile de repousser le financement des assurances sociales et de grever ainsi le budget des futurs contribuables et celui des futurs cotisants. Concernant l’AVS justement, il est important de définir des règles qui obligent les politiques (et la société aussi) à adopter un comportement cohérent sur la durée. Enfin, seul un mécanisme fondé sur des règles réussira à forcer le blocus réformateur et à assurer un financement de l’AVS durable et relativement équilibré entre les générations.
Assumer nos responsabilités
À l’automne 2019, les assureurs privés ont viré la dernière tranche des dix millions de francs promis à la fondation Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante. Ils ont ainsi tenu leur promesse et participent au fait que la fondation puisse répondre à moyen terme aux prétentions des requérants (malades ne disposant pas d’une couverture d’assurance suffisante). Le conseil de fondation présidé par Urs Berger estime que les besoins s’élèvent au total à près de 100 millions de francs. Les entreprises qui ont produit de l’amiante ou utilisé ce matériau ainsi que d’autres acteurs assumant une responsabilité sociale sont censés financer ce fonds au prorata.