Les risques sismiques sont assurables et ne requièrent aucune pseudo-solution étatique
Les politiques entendent mieux préserver la Suisse des conséquences financières de graves tremblements de terre: avec ledit engagement conditionnel, les propriétaires sont censés verser leur contribution uniquement en cas de séisme. Il existe de bien meilleures manières de gérer ce risque majeur, estime Urs Arbter.
Il est fort probable que nous aborderions certaines choses différemment. Concernant ce virus, nous investirions davantage dans des mesures préventives, biens conscients que de tels événements ne sauraient être évités éternellement. Nous mettrions en place des structures pour être à même de réagir avec rapidité et efficacité. Cela nous permettrait d’atténuer les souffrances humaines, mais aussi de limiter l’endettement publique. N’oublions pas qu’au cours de la première année de la pandémie, la Confédération a dû accorder des crédits à hauteur de 38 milliards de francs. Des aides qui, dans le pire des cas, se traduiraient par des dettes – et se retrouveraient à la charge de la génération suivante.
Voyager dans le temps n’est pas non plus en notre pouvoir à nous, les assureurs. Mais nous pouvons contribuer de manière déterminante à atténuer les conséquences financières des phénomènes naturels auxquels il faut nous attendre à l’avenir. Les tremblements de terre constituent de tels risques.
Bien que les secousses sismiques de grande amplitude soient extrêmement rares en Suisse, elles peuvent potentiellement entraîner des dommages dévastateurs. D’après le modèle, ce type d’événement susceptible de se produire tous les 500 ans provoquerait à l’heure actuelle des dommages économiques de l’ordre de 30 à 40 milliards de francs. C’est une somme considérable. Le risque n’est pas uniformément réparti dans le temps, mais se caractérise surtout par des tremblements de terre exceptionnels et catastrophiques qui se produisent généralement sans signes avant-coureurs. Même si nous espérons bien que le jour X n’est pas pour demain, nous ne devons pas oublier non plus de nous préparer à sa survenance.
Du strict point de vue des assurances, le risque sismique présente certains avantages par rapport à celui d’une pandémie: un séisme de grande magnitude provoque certes beaucoup de souffrance et de destructions, il est néanmoins limité géographiquement. Une amplitude mondiale comme dans le cas de la pandémie de coronavirus est exclue. Par ailleurs, les tremblements de terre se produisent de manière aléatoire et indépendamment les uns des autres. Tout cela rend ce risque prévisible et, donc, assurable. En d’autres termes, les assureurs et les réassureurs disposent des capacités nécessaires pour proposer des couvertures tremblements de terre à grande échelle, comme l’ont illustré les séismes de 2010 et 2011 en Nouvelle-Zélande. Pourtant, les propriétaires en Suisse sont aujourd’hui bien trop peu nombreux encore à avoir conclu une assurance en cas de risques sismiques. Beaucoup d’entre eux ne sont même pas conscients de cette lacune de couverture. Le secteur de l’assurance s’efforce de les sensibiliser à ce problème.
Si le monde politique a lui aussi reconnu ce besoin, ce qui est louable, il entend toutefois y apporter une réponse inadaptée. En adoptant la motion «Création d’une assurance suisse contre les tremblements de terre au moyen d’un système d’engagements conditionnels», le Parlement a chargé le Conseil fédéral de présenter une proposition en ce sens. Celle-ci prévoit que les propriétaires seraient tenus de verser, en cas de tremblement de terre, une contribution pouvant atteindre 0,7 pour cent de la valeur d’assurance de leur bâtiment pour couvrir les dommages. Si l’intention mérite d’être soutenue, sa mise en œuvre est cependant discutable. Il semble pour le moins inapproprié de vouloir adresser des factures aux propriétaires immobiliers peu de temps après la destruction de leurs biens par un tremblement de terre. C’est irréalisable. Un engagement conditionnel n’est rien d’autre qu’une fausse bonne idée: par beau temps, ce concept donne l’agréable sensation d’être préparé, mais, en cas de tempête, il devient lettre morte. La seule solution consisterait alors très vraisemblablement en la prise en charge des obligations financières par l’État, ce qui se traduirait là encore par l’alourdissement de la dette au détriment des générations futures. Guérir plutôt que prévenir.
En dépit de toutes les modélisations de données et des systèmes d’alerte précoce, nous devons en prendre notre parti: nous ne pouvons pas savoir quelle génération sera touchée par un tremblement de terre. Un événement aussi rare que dévastateur implique une solidarité à double titre: d’une part, entre les générations; d’autre part, entre les individus, car certains sont plus exposés que d’autres. C’est précisément ce que l’assurance des dommages naturels met en pratique depuis des décennies. Il serait par conséquent logique d’inclure les tremblements de terre comme dixième risque – parallèlement aux crues (hautes eaux), inondations, tempêtes, chutes de grêle, avalanches, pression de la neige, éboulements de rochers, chutes de pierres et glissements de terrain – dans l’assurance des dommages naturels. Les personnes assurées bénéficieraient ainsi d’un système largement éprouvé, sans compter qu’il couvre non seulement les bâtiments, mais aussi les biens mobiliers qui s’y trouvent.
Les assurances s’inscrivent sur la durée et s’entendent à titre préventif. Leur utilité sociale réside dans le fait qu’en cas de coup dur, elles mettent à disposition les moyens nécessaires pour que les dommages puissent être réparés rapidement. Le secteur de l’assurance est en mesure de jouer ce rôle au regard du risque sismique. Et l’État peut alors sans crainte se limiter à sa mission première: créer les conditions de base pour que le secteur privé puisse proposer de vraies solutions.
Ce commentaire a été publié le 26 octobre 2024 dans la NZZ
Portrait d’Urs Arbter
Âgé de 59 ans, Urs Arbter est le directeur de l’Association Suisse d’Assurances ASA depuis 2022. Après un apprentissage comme employé de banque, il a obtenu une licence en économie d’entreprise à l’université de St-Gall et suivi le Stanford Executive Program. Au cours de sa carrière professionnelle, il a occupé des postes de direction auprès de différentes compagnies d’assurances exerçant en Suisse comme à l’international.