Congrès sur les dommages corporels 2022 : tour d'horizon des nombreux thèmes abordés
Après un intermède de quatre ans, le congrès consacré aux dommages corporels a enfin pu se tenir de nouveau fin août. Près de 70 participants du secteur de l'assurance se sont rendus à Lucerne pour assister à cette formation continue de deux jours et écouter des interventions, toutes plus intéressantes les unes que les autres.
Des intervenants de haut niveau se sont succédé pour aborder des thèmes très divers. Les deux hôtes, Manuel Nyffenegger, président du groupe de travail « Dommages corporels et réintégration » de l'ASA, et Patrizio Pelliccia, chargé des dommages et de la médecine de l’assurance à l'ASA, ont animé avec brio ce congrès en dépit de sa complexité technique.
Développements juridiques en responsabilité civile
Les deux senior legal counsels Barbara Huber Grämiger et Sarah Riesch de la Zurich Compagnie d'Assurances SA ont donné le ton dès le premier jour. Elles ont présenté des jugements passionnants dans le domaine de l'assurance de personnes et ont également fourni une compilation fort utile d'autres décisions d’importance.
Responsable des prestations responsabilité civile et choses à la Vaudoise, Veit Wendenburg a expliqué sa méthode de règlement des dossiers de responsabilité civile mettant en cause des médecins et des hôpitaux en soulignant les aspects du droit de la responsabilité civile dont il convient de tenir spécialement compte en l’espèce. En tant que praticien, il s’intéresse particulièrement aux tensions entre les patients lésés, qui doivent surmonter des obstacles importants pour faire valoir d'éventuelles prétentions en dommages-intérêts, et les médecins preneurs d'assurance, qui attendent d’être soutenus par leur assurance de la responsabilité civile.
L'invalidité n'est pas uniquement l'affaire des assurances sociales : Jérôme Cosandey, directeur romand d’Avenir Suisse
Directeur romand d'Avenir Suisse, Jérôme Cosandey a présenté l'étude « Réinsérer plutôt qu'exclure » d'Avenir Suisse et a proposé que les assurances sociales impliquées ainsi que l'ORP s’accordent sur la question de savoir qui assume le rôle d'interlocuteur et la coordination en aval, ceci au bénéfice des personnes requérantes. Cela faciliterait les démarches administratives de ces dernières.
Nouvelle loi sur la protection des données en 2023
Ursula Uttinger, spécialiste de la protection des données, a décrit la loi révisée sur la protection des données (LPD), qui entrera en vigueur le 1er septembre 2023. Elle a pu rassurer les entreprises qui se sont déjà conformées aux nouvelles dispositions en matière de protection des données : elles n’auront pas grand-chose à faire de plus. Contrairement à ses voisins européens, la Suisse continue d’autoriser le principe du traitement des données (sous réserve de l’opposition de la personne concernée) et n’a pas l’intention de l’interdire formellement (justifications possibles).
Pour les assureurs, la protection des données est d'ores et déjà une évidence : Ursula Uttinger, spécialiste de la protection des données
La météo était de la partie pour clore cette première journée par un apéritif sur les bords du lac, suivi d'un barbecue. Les participants au cours ont beaucoup apprécié ce programme et n’ont pas manqué de saisir l'occasion de nouer des relations et d’alimenter leur réseau (choses qui étaient devenues compliquées pendant la pandémie).
Coup de projecteur sur la CIM-11 et l'après-Covid-19
La deuxième journée a débuté par l’intervention de Jörg Jeger, ancien médecin-chef du COMAI. Celui-ci a fait une démonstration au public de l'application informatique de la CIM-11 (classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes ; en anglais ICD, International Statistical Classification of Diseases and Related Health Problems), lancée par l'OMS le 1er janvier 2022. Mais comme l'application n'existe toujours pas en allemand, c'est le modèle précédent – la CIM-10, exclusivement sous forme de livre – qui est encore utilisé en Suisse. Chaque pays peut décider librement à quel moment et dans quels domaines il souhaite introduire les nouveaux codes de classification.
Un « tsunami » d’affections post-Covid-19 devrait fort heureusement être évité : Achim Regenauer, chief medical officer de Partner Re
Les explications d'Achim Regenauer sur les affections post-Covid-19 (encore appelées, Covid long), qui donnent du fil à retordre tant au secteur de l'assurance qu'à la médecine, étaient très attendues, car les différents symptômes sont difficiles à cerner. Le chief medical officer de Partner Re a présenté et interprété plusieurs études avant de dresser un bilan de l'état actuel de la recherche. Si l'on veut se risquer à faire des pronostics sur cette base, il semblerait qu’un « tsunami » d’affections post-Covid-19 devrait fort heureusement être évité.
Évaluation troubles psychiques
Médecin-chef à la clinique ambulatoire de psychiatrie, de psychothérapie et de psychosomatique à l'hôpital universitaire de Zurich, Christoph Müller-Pfeiffer a présenté la FIRA, l'analyse des déficiences et des besoins fonctionnels (Functional Impairment and Requirement Analysis), utilisée aux fins d'évaluation de la capacité de travail des personnes présentant des troubles psychiques. Dans le cadre de la FIRA, la longue démarche qui va de l'évaluation médicale de l'atteinte à la santé à celle de la capacité de travail est divisée en quatre étapes plus petites, identifiables, reproductibles et reposant sur une expertise correspondante :
1. Examen en psychologie du travail de l’altération des performances dans la vie quotidienne
2. Examen médical
3. Évaluation par un psychologue du travail des exigences de performance dans l’exercice de la profession
4. Estimation statistique de l'atteinte à la performance professionnelle
Sur le même thème, Michael Liebrenz, chef du service de psychiatrie forensique (Forensisch-Psychiatrischer Dienst, FPD) de l'université de Berne, a présenté la méthode REAcT (appréciation du risque de restriction de l'activité professionnelle et de la participation des personnes). REAcT consiste en une méthode d'évaluation par un tiers (jugement professionnel structuré ; Structured Professional Judgement SPJ) qui vise l’appréciation du risque de restrictions de l'activité professionnelle et de la participation des personnes concernées à la suite d’un problème de santé (maladie ou accident). Cet outil a pour objectif d’estimer la probabilité qu'un sujet de recherche retrouve sa capacité de travail à certaines conditions et dans un laps de temps donné ou, au contraire, qu'il demeure en incapacité de travail. REAcT entend faciliter la planification de nouvelles étapes d'intervention en matière de réinsertion professionnelle.
REAcT entend faciliter la planification de nouvelles étapes d'intervention en matière de réinsertion professionnelle. Michael Liebrenz, chef du service de psychiatrie forensique de l'université de Berne
Spécialiste en psychiatrie et psychothérapie ainsi qu'en neurologie, Ralph Mager s'est également penché sur le thème de l'évaluation des personnes souffrant de troubles psychiques en expliquant l'utilité d'un diagnostic standard en médecine des assurances (de l’allemand « versicherungsmedizinische Standarddiagnostik, VSD »). Chaque outil d’évaluation présente en fait une faible fiabilité, ce qui pose problème. Dans l'étude « VSD » en question, un diagnostic psychiatrique standard réalisé en ligne a donc été utilisé pour la première fois comme source d'information additionnelle, parallèlement à l'expertise exploratoire classique, pour une représentation systématique couvrant les domaines de la cognition, de la performance, de la validité des troubles, de la personnalité, de l'évolution de l’individu dans le temps et de la charge des symptômes.
L'intégration des facteurs VSD dans l'évaluation de l'incapacité de travail ouvre donc de nouvelles perspectives pour la recherche en médecine des assurances. Dans certains cas, elle permet d’étayer les estimations de la capacité de travail résiduelle et les évaluations psychiatriques par des données objectives et standardisées.
Politique de la santé et tarification
Dans le dernier bloc thématique de ce congrès, Andreas Christen a présenté la Commission des tarifs médicaux (CTM) et le Service central des tarifs médicaux (SCTM) qui relèvent de sa direction. Il s’est lancé dans un exposé sur la politique de la santé vue sous l’angle de la tarification. Il déplore que les assureurs, les médecins et les cliniques défendent trop fortement leurs intérêts particuliers et bloquent ainsi des solutions communes pour relever les défis auxquels le secteur de la santé est confronté. Surtout lorsqu'il s'agit de questions tarifaires. En conséquence, aucun compromis raisonnable et objectif ne semble pour le moment possible en l’état actuel des négociations1. Au regard de cette situation, il se pourrait que l'État se voit obligé d’intervenir, ce qui ne saurait être dans l'intérêt des acteurs du marché.
Blocage dans la politique sanitaire : Andreas Christen, directeur de la Commission des tarifs médicaux CTM
L'exposé final était consacré à la problématique de « l'ambulatoire avant le stationnaire ». Responsable des tarifs stationnaires au sein du SCTM, Melanie Zemp a exposé les prémisses de ce principe et a souligné le fait que le financement unique (encore appelé financement moniste) en LAA se traduit généralement par des économies de coûts. Par ailleurs, pour les cas relevant de la LAMal, les transferts des traitements stationnaires dans le domaine ambulatoire ont pour effet d’alléger les finances des cantons (financement hospitalier dual uniquement pour les traitements stationnaires) et de stabiliser les coûts des assurances maladie. La deuxième partie de l'exposé portait sur les relations contractuelles individuelles (contractualisation sélective). Signataires des conventions tarifaires et de prestations de la Commission des tarifs médicaux CTM, les assureurs LAA garantissent la prise en charge de leurs patients couverts par l'assurance de base. Contrairement à la LAMal, la LAA ne comprend aucune obligation de conclusion d'une convention avec l’ensemble des fournisseurs de prestations stationnaires autorisés. La CTM met en œuvre cette possibilité de passer des conventions de manière sélective dans le domaine stationnaire.
Le transfert du stationnaire vers l'ambulatoire peut contribuer à la baisse des coûts dans le domaine de la LAA : Melanie Zemp, responsable des tarifs stationnaires au sein du SCTM.
Outre les nombreuses incursions dans la pratique, les participantes et les participants ont pu échanger entre professionnels et soigner leurs relations, une autre raison s’il en fallait qui explique le succès de congrès après un intermède de quatre ans. Le prochain congrès sur les dommages corporels devrait avoir lieu en 2024.
1 Selon le président de santésuisse Martin Landolt, des progrès ont pu être réalisés dans les négociations au cours des dernières semaines. Ainsi, les associations d'hôpitaux, de médecins et de caisses-maladie impliquées veulent fonder en novembre 2022 une société anonyme commune pour un bureau des tarifs.