Quelle est l'importance des employés dans la création de valeur ?
L’étude de BAK Economics sur l’importance économique du secteur financier suisse met l’accent sur le personnel. Michele Salvi, économiste en chef, et Barbara Zimmermann-Gerster, directrice de la division de la politique en matière de formation et d’emploi, échangent sur les enseignements tirés : Quelle est l’influence de la formation des collaboratrices et des collaborateurs sur leur performance économique ? Et qu’en est-il de la pénurie de main d'œuvre qualifiée dans ce secteur ?
Chaque année en novembre, l’institut de recherches économiques BAK Basel Economics publie la version actualisée de l’étude sur l’importance économique du secteur financier suisse. Réalisée à la demande de l'Association Suisse d'Assurances ASA et de l'Association suisse des banquiers ASB, ce rapport analyse l’ensemble de la chaîne de création de valeur des compagnies d’assurances et des établissements bancaires en Suisse. Dans l’édition de novembre 2022, l’accent a été mis pour la première fois sur la main d'œuvre de ce secteur. L’ASA a saisi cette occasion pour discuter avec Michele Salvi, économiste en chef de l’association faîtière depuis le 1er novembre 2022, et Barbara Zimmermann-Gerster, directrice de la division de la politique en matière de formation et d’emploi, de l’importance du rôle du personnel de l’industrie de l’assurance pour l’économie nationale.
Commençons par le commencement : quelle importance revêtent les collaboratrices et les collaborateurs en termes de création de valeur dans ce secteur ?
Michele Salvi : Elle est essentielle – en effet, ce sont eux qui fournissent les prestations mesurées par le produit intérieur brut (PIB). Au total, le secteur financier est un pourvoyeur de plus de 230 000 emplois à plein temps, lesquels génèrent près de 67 milliards de francs de valeur ajoutée. Et si l'on tient compte des prestataires qui secondent le personnel du secteur financier ou lui fournissent des produits et des services, il faut ajouter 192 000 postes à plein temps supplémentaires en lien avec l’activité du secteur financier.
Barbara Zimmermann-Gerster : Lorsque nous considérons l’économie en général, nous obtenons des chiffres faramineux et peu significatifs. Ou alors nous parlons du secteur financier – lui aussi plutôt abstrait et anonyme - qui génère de la valeur ajoutée. Je trouve très important que, cette année, notre étude ait examiné de manière plus approfondie le rôle de notre personnel et ait davantage mis l’accent sur les collaboratrices et les collaborateurs. Car, ils sont l’essence même du secteur financier : ce sont eux qui produisent la valeur ajoutée au niveau économique. Après tout, la branche, ce sont ces femmes et ces hommes qui forment la colonne vertébrale d'un secteur de l'assurance performant. Ce n’est qu’en s’appuyant sur des spécialistes efficaces et en nombre suffisant que la branche peut réussir et prospérer.
En conversation : Barbara Zimmermann-Gerster, responsable de la politique de la formation et des employeurs, avec le chef économiste Michele Salvi.
Entendez-vous par là la productivité par poste de travail calculée dans le rapport ? À cet égard, les assureurs occupent une place de premier rang dans le secteur financier, même si, pour la première fois depuis 20 ans, ils ont reculé dans le classement en 2021.
MS : À vrai dire, oui : la productivité du travail mesure la valeur ajoutée moyenne par poste à plein temps. Pour simplifier, cela signifie par exemple que plus un collaborateur peut traiter de dossiers en une semaine de travail, plus sa productivité est élevée.
Or, le modèle d'entreprise et la situation économique jouent également un rôle : la création de valeur est fonction du montant des primes encaissées et des revenus des investissements ainsi que des prestations fournies. Plus les recettes sont faibles et les prestations pour sinistres élevées, plus la valeur ajoutée est médiocre et – à effectif constant – plus la productivité est basse.
L'année 2021 illustre très clairement ce phénomène : en effet, cette année-là, les assureurs ont enregistré un recul de la valeur ajoutée brute en termes réels en raison des effets conjugués de la pandémie de coronavirus et de catastrophes naturelles. Parallèlement, les effectifs ont augmenté. Par conséquent, nous pouvons observer une baisse de la productivité du travail en 2021.
Une année considérée isolément n’est toutefois pas très significative. En la matière, l’évolution de la productivité à moyen et long termes est plus parlante. Et c’est là que la technologie utilisée entre aussi en jeu. Un domaine dans lequel les assureurs sont très avancés. Leurs investissements dans la numérisation, par exemple, ont largement dopé la productivité de la branche, laquelle a, de fait, enregistré une progression stable au cours de ces 20 dernières années.
«Les investissements dans la numérisation ont largement dopé la productivité de la branche.»
Il ressort également de l’étude que le niveau de formation s’est inscrit à la hausse dans le secteur financier au cours des dix dernières années. Ce phénomène a-t-il également contribué à la hausse de la productivité par poste de travail ?
MS : Oui, tout à fait. La formation est un paramètre important de la productivité. En effet, plus les collaborateurs détiennent de connaissances spécifiques, plus ils sont en mesure de prendre en charge des missions complexes, lesquelles génèrent à leur tour davantage de valeur ajoutée. C'est le cas depuis toujours dans le secteur de l'assurance. Et cela s'est encore accentué avec la numérisation et la complexité technologique croissante.
BZ : À ce sujet, il est important de souligner que des connaissances spécifiques n’impliquent pas nécessairement un diplôme d'une haute école. Même si l’étude souligne le taux élevé d’employés qui détiennent un diplôme de formation supérieure, sont également considérés comme possédant des connaissances spécifiques les collaborateurs qui ont par exemple effectué un apprentissage ou suivi une formation continue particulière. Nos collaborateurs ont des niveaux de formation très différents – et, c’est une bonne chose aussi.
«Nos collaborateurs ont des niveaux de formation très différents – et, c’est une bonne chose aussi.»
Les économistes de BAK Economics dressent le constat que le secteur financier arrive nettement plus facilement que d’autres à recruter cette main d'œuvre qualifiée.
BZ : Même si c’est sûrement plus facile pour nous, nous ne sommes toutefois pas épargnés par la pénurie de main d'œuvre qualifiée. Qu'il s’agisse de trouver des actuaires ou des informaticiens, le recrutement de bons professionnels n’est pas chose aisée. Nous aimerions bien mieux en comprendre les raisons. L’année prochaine, nous avons prévu une étude détaillée qui analysera plus précisément la situation en termes de main d'œuvre qualifiée dans le secteur de l’assurance.
Actuellement, la branche met déjà beaucoup de choses en œuvre pour pallier cette pénurie de main d'œuvre qualifiée. Il s'agit par exemple de ses efforts de sensibilisation à l'attractivité de la branche et de son engagement en faveur de l’instauration de bonnes conditions de travail et d’une réelle politique de la formation. Très concrètement, les compagnies d'assurances assument pleinement leur rôle d’employeurs en proposant à leurs collaboratrices et collaborateurs des conditions de travail modernes et en investissant dans la formation et le perfectionnement de ceux-ci. L'ASA n’est pas en reste et est également à l’origine de diverses initiatives et projets pour stimuler le recrutement et le développement de la main d'œuvre qualifiée. Elle a par exemple lancé la plate-forme www.startsmart.ch qui présente le large éventail des apprentissages possibles dans le secteur de l’assurance et entend ainsi susciter de jeunes vocations. Par ailleurs, la branche investit dans les compétences de demain et l’employabilité de ses collaborateurs. Avec l’outil d’auto-analyse InsurSkills, ils peuvent vérifier eux-mêmes leur niveau de compétences et prendre les mesures de formation complémentaire correspondantes.
Michele Salvi et Barbara Zimmermann-Gerster sont d'accord : le secteur de l'assurance ne peut réussir et prospérer qu'avec les bons spécialistes et le nombre adéquat.
Après plusieurs années de réduction des effectifs dans le secteur de l’assurance, le nombre de postes s’inscrit dernièrement de nouveau à la hausse. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
MS : Au début des années 2000, le secteur de l’assurance a traversé une phase de restructuration au cours de laquelle certaines professions, comme celle des courtiers, ont été externalisées. Ces postes sont donc désormais comptabilisés dans les prestataires de services financiers. Par ailleurs, la numérisation a permis de rationaliser certaines tâches et d’optimiser des processus opérationnels, ce qui a entraîné une réduction des besoins en personnel. Cette tendance s’est toutefois inversée ces dernières années.
BZ : Cela s’explique notamment par la hausse des exigences du fait de la densification de la réglementation : les compagnies doivent dès lors pourvoir davantage de postes dans le domaine de la compliance ou dans celui de la finance durable. Il est intéressant de noter que la numérisation aussi est créatrice d’emplois puisqu'il faut des spécialistes pour concevoir les nouveaux processus et en assumer la gestion.
«Une chose est sûre : les assurances sont et demeurent un secteur important et prometteur.»
Les perspectives économiques sont actuellement plutôt floues – l’inflation accroît les coûts des sinistres et le taux de conversion doit être abaissé dans le deuxième pilier. Pour autant, les assureurs devraient enregistrer une croissance solide. Comment cela se fait-il ?
MS : La demande d’assurances demeure stable. De plus, l’économie suisse devrait continuer d’assister à des effets de rattrapage au cours des années à venir, ce qui contribuera à un développement dynamique du marché. Sans compter que la croissance démographique attendue exerce également un effet positif sur le secteur de l'assurance.
Le secteur de l’assurance voit donc l’avenir en rose ?
MS : Ce serait bien si tout était aussi simple. Mais, j’en doute. L’inflation, par exemple, risque de changer la donne pour notre secteur : tout dépendra de la capacité de la Suisse à conserver la situation sous contrôle. Il en va de même pour la prévoyance vieillesse. Là encore, beaucoup de choses seront fonction de l’avancement de la réforme de la prévoyance professionnelle. Sans compter que la conjoncture infléchit aussi la capacité du secteur de l’assurance à assumer sa responsabilité économique. Enfin et surtout, la problématique de la durabilité et, en particulier, celle du changement climatique nous préoccupent aussi énormément. Même si nous avons toutes les raisons de regarder l’avenir avec confiance, nous ne devons pas, pour autant, baisser la garde.
BZ : Je vois les choses de la même façon, même si la branche, au premier abord, n’est pas mal lotie en termes de main d'œuvre qualifiée. Ceci s’explique en premier lieu par le fait que les assureurs ont depuis toujours énormément investi dans leurs collaborateurs ainsi que dans les conditions de travail. Pour que les choses perdurent, il faut que le secteur continue de se positionner correctement et veille à la préservation de bonnes conditions d’exercice. Tout dépendra de l’intérêt que revêtira demain l'industrie de l’assurance aux yeux de la main d'œuvre qualifiée. En la matière, nous avons du pain sur la planche, mais je suis confiante. Car, une chose est sûre : les assurances sont et demeurent un secteur important et prometteur.
À propos de l'étude
L'étude de BAK Economics sur l'importance du secteur financier suisse pour l'économie nationale paraît chaque année en novembre. Elle est réalisée sur mandat de l'Association Suisse d'Assurances (ASA) et de l'Association suisse des banquiers (ASB). L'accent est mis sur les chiffres clés du secteur financier tels que la création de valeur, les emplois et les recettes fiscales.