Les véhicules autonomes peuvent être piratés: entretien avec Ina Ebert
Ina Ebert est professeur et responsable du droit des la responsabilité civile et des assurances à Munich Re. Elle s’occupe notamment des nouvelles questions soulevées par les voitures sans conducteur. En effet, les véhicules autonomes sont des véhicules connectés et doivent de ce fait aussi être protégés, par exemple contre les attaques des pirates informatiques. Au cours de l’entretien, elle évoque les différentes questions d’actualité dans ce domaine.
Le conducteur pourra-t-il un jour abandonner totalement le contrôle de son véhicule au véhicule lui-même?
A long terme, sûrement. Mais jusque-là, le chemin est encore long et implique aussi l’adaptation des infrastructures. Reste encore à savoir si les conducteurs souhaitent vraiment déléguer la conduite de leur véhicule.
D’une part, nombreux sont ceux qui considèrent qu’une conduite non autonome est plus sûre que prendre l’avion, tout simplement parce que lorsqu’ils conduisent, ils conservent (a priori) le contrôle sur les risques auxquels ils sont exposés. Cette vision des choses s’inscrit à l’encontre des résultats de toutes les statistiques sur les accidents. Ces personnes ne se sentiront pas à l’aise dans une voiture sans volant. Et puis il y a aussi ceux qui aiment conduire, du moins dans certaines situations…
Pendant quelques temps encore, il devrait donc être uniquement question de soulager le conducteur par des systèmes d’assistance à la conduite de plus en plus perfectionnés, jusqu’à une prise en charge temporaire du contrôle du véhicule dans certaines situations.
Pensez-vous que la conduite autonome entraînera une réduction du nombre des accidents?
Les véhicules autonomes permettront d’éviter un grand nombre des accidents courants d’aujourd’hui, comme les dommages provoqués lors de collision par l’arrière ou lors des manœuvres de stationnement.
La question qui se pose est celle de savoir dans quelle mesure le recul du nombre de ce type d’accidents sera compensé par l’émergence de nouveaux accidents. Lorsque les véhicules autonomes circuleront aux côtés des véhicules avec conducteur, les quiproquos ne manqueront pas d’être nombreux, surtout au début. Sans compter qu’un logiciel, même performant, n’est jusqu'ici pas aussi bon qu’un conducteur humain expérimenté et prudent. Plus la technique utilisée est complexe, plus elle est risque d’être sujette à des dysfonctionnements, du moins au début.
Et puis, il ne faut surtout pas oublier que les véhicules sans conducteur sont des véhicules connectés. Ils sont donc exposés à tous les dangers découlant de l’Internet des objets, en particulier aux attaques des pirates informatiques.
Concernant les véhicules sans conducteur se pose la question de savoir qui est responsable en cas d’accident. Où en est la discussion aujourd’hui?
Les questions soulevées dépendent énormément du traitement réservé à la responsabilité civile par les différents systèmes juridiques dans le cas des accidents provoqués par des véhicules automobiles. Lorsque la responsabilité des conducteurs automobiles est engagée, indépendamment de toute faute, comme c’est le cas en Suisse ou en Allemagne, la conduite autonome ne change pas grand-chose pour les victimes des accidents de la circulation: le détenteur du véhicule est responsable, que le véhicule ait été conduit par un être humain ou par un ordinateur au moment de l’accident. C’est donc toujours l’assureur responsabilité civile du détenteur du véhicule qui répond des dommages. Ce dernier peut parfois élever un recours, par exemple contre le constructeur automobile si l’accident est imputable à un défaut du produit. De tels recours devraient se multiplier, surtout au début de l’ère des véhicules autonomes. Ce scénario des plus probables incite nombre de personnes à prôner un assouplissement de la procédure de recours. Une autre discussion porte sur la protection du détenteur du véhicule autonome qui est blessé lors d'un accident : cette protection doit-elle être renforcée puisqu'il n’est pas couvert par sa propre assurance de la responsabilité civile.
La problématique est plus compliquée en présence de systèmes juridiques reposant sur la responsabilité du conducteur en cas de faute, comme c’est souvent le cas dans les pays anglo-américains. Même si les véhicules autonomes continuent d’impliquer la présence d'un conducteur, la responsabilité de ces derniers ne pourra néanmoins plus être engagée. En conséquence, le législateur doit intervenir dans ces systèmes juridiques pour protéger les futures victimes des accidents de la circulation et adapter les systèmes de responsabilité civile et les régimes d’assurance existants. En Grande-Bretagne, c’est déjà le cas avec la proposition de loi Vehicle Technology and Aviation Bill. Là aussi, en cas de dommages provoqués par des véhicules sans conducteur, il revient à l’assurance responsabilité civile automobile d’indemniser les victimes avant de se retourner éventuellement contre le constructeur automobile.
Portrait
Ina Ebert est professeure et responsable du droit de la responsabilité civile et des assurances à Munich Re.
Elle est également chargée de cours de droit à l’université de Kiel, membre du Centre européen du droit des dommages-intérêts et de l’assurance à Vienne ainsi que membre du projet «Climate Risk and Insurance» de la Geneva Association.