Risques la­tents liés aux pro­duits, un risque émer­gent

Contexte

Si des dommages corporels et / ou matériels sont causés à des tiers en rapport avec un produit, ils sont en principe couverts par l'assurance responsabilité civile d'entreprise.

Description du risque

Qu'est-ce que le « temps de latence du produit » ?
Que signifie une longue période de latence dans le monde médical ? La période de latence désigne le temps qui s'écoule entre une exposition (exposition aux causes d'une éventuelle atteinte à la santé, par exemple à des rayonnements) et l'apparition des premiers symptômes d'une atteinte à la santé (par exemple un cancer). De nombreux facteurs liés à l’environnement n'exercent pas un impact uniquement au moment de l'exposition, mais induisent potentiellement des effets sur l’évolution de la maladie toute la vie durant. La longue période de latence entre l'exposition à un risque à un stade précoce de la vie et l'apparition ultérieure d'un trouble pathologique complique la détermination des liens de cause à effet.

Il en va de même pour le temps de latence du produit, d'une part la déclaration de sinistre et d'autre part le règlement du sinistre. Pour tenir compte du temps de latence dans les analyses d'expositions cumulatives, on utilise souvent des informations différées sur l'exposition. Le résultat dépend de l'étendue de la couverture concernée et du déclenchement de la couverture (trigger).

Quelle est l'ampleur du risque ?
Les risques liés à l'amiante existent potentiellement partout. L'expansion rapide de l'industrie chimique au siècle dernier a donné lieu à l’apparition de dizaines de milliers de produits chimiques différents. Notre mode de vie dans son ensemble ainsi que la nature de nos produits en ont été considérablement modifiés, parfois pour le meilleur, parfois pour le pire.

Presque chaque jour, des organisations ou des autorités restreignent ou interdisent l’utilisation de différents produits chimiques. Les répercussions de ces mesures sur l'industrie chimique (fabricants comme utilisateurs) dépendent de l'évolution de la législation, qui pourrait entraîner une multiplication des problèmes de responsabilité. Les propositions en faveur d'une lutte efficace contre les produits chimiques toxiques pourraient aller dans le sens d'une responsabilité élargie du fabricant, en vertu de laquelle ce dernier se verrait tenu de reprendre les produits en fin de vie, comme cela se pratique déjà dans l'industrie automobile.

Pour chaque action en justice potentielle, il convient de définir la partie défenderesse. Or, plusieurs actions en justice contre des fabricants de produits chimiques préoccupants ont permis d'identifier de nouvelles catégories de défendeurs potentiels. Outre contre les fabricants historiques de produits chimiques, une plainte peut également être introduite contre des détaillants, des distributeurs, voire des municipalités. C'est ce que nous montrent par exemple les plaintes déposées contre les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées). Il est actuellement difficile d'estimer quels pans des chaînes d'approvisionnement ne risquent pas d’être poursuivis en justice à l'avenir. Du fait de la sensibilisation croissante du public par le biais des médias sociaux et d'autres plateformes, conjuguée à la pression financière accrue sur les gouvernements ou à l’affirmation d’une conscience écologique, il faut s’attendre à une intensification des efforts visant à incriminer d'autres entreprises de la chaîne d'approvisionnement. Même si les Américains sont les plus prompts à porter plainte et obtiennent souvent des compensations faramineuses aux États-Unis, ce phénomène s'observe de plus en plus dans d'autres parties du monde.

Au cours des vingt dernières années, un nombre croissant de données ont démontré que certains produits chimiques (appelés « perturbateurs endocriniens ») exercent des effets nocifs sur le système endocrinien à des concentrations qui étaient auparavant considérées comme inoffensives. Les produits chimiques fabriqués par l'être humain et ayant des effets secondaires indésirables sur le système hormonal sont nombreux : additifs pour matières plastiques, retardateurs de flamme, produits chimiques industriels, pesticides, composants de produits cosmétiques, principes actifs pharmaceutiques, métaux et métalloïdes, etc. Leur large diffusion, leur stabilité chimique et leur accumulation via la chaîne alimentaire rendent les perturbateurs endocriniens exposés aux poursuites judiciaires. Cela peut avoir des répercussions sur l'industrie chimique où ces produits sont fabriqués ou sur d'autres secteurs industriels (par exemple, celui de l'alimentation humaine / animale) où ils sont utilisés. Les entreprises qui produisent, commercialisent ou transforment des produits chimiques dangereux peuvent être poursuivies en justice si ces produits provoquent alors des dommages qui étaient prévisibles. En conséquence, des incidences sur le secteur de l’assurance ne sont pas à exclure.

Qu’est-ce qui prolonge encore la période de latence ?
L'économie circulaire (circular economy) prolonge encore le temps de latence. L'économie circulaire consiste en un système régénératif dans lequel l'utilisation des ressources et la production de déchets, les émissions et le gaspillage d'énergie sont minimisés. Il en résulte que les produits sont conçus et fabriqués de manière à pouvoir encore être utilisés, améliorés ou réutilisés à d'autres fins après leur premier emploi. Plus les matériaux et les produits sont utilisés longtemps, plus la période de latence est importante et, par conséquent, plus les demandes d'indemnisation risquent d’être nombreuses.

Entrés en vigueur en décembre 2019, les nouveaux règlements européens sur les exigences d'écoconception et l'étiquetage énergétique ont force obligatoire depuis le 1er septembre 2021. Ces mesures s'appliquent aux produits mis en circulation sur le marché de l'UE, ceci indépendamment de leur lieu de fabrication. Jusqu'en 2019, la directive sur l'écoconception se concentrait sur l'efficacité énergétique. Mais ce n'est qu’un début. À l'avenir, de plus en plus de secteurs seront concernés, surtout au regard de la prise de conscience grandissante de la population en faveur de la durabilité.

Comment la Suisse réagit-elle ?
En avril 2020, le Conseil fédéral a adapté l'ordonnance sur les exigences relatives à l'efficacité énergétique (OEEE). Cette révision de l’OEEE permet de reprendre dans le droit suisse les nouvelles prescriptions plus sévères de l’Union européenne (UE) en matière d’efficacité énergétique dans le domaine des installations et appareils fabriqués en série. Adaptée en conséquence la nouvelle ordonnance sur l'efficacité énergétique est entrée en vigueur le 1er septembre 2021.

 

Découvertes scientifiques

La réglementation sur les produits chimiques s’attache à leurs effets nocifs, ceci indépendamment de leur mode d'action sous-jacent. Par ailleurs, chaque pays réglemente à sa manière par le biais de lois et d’initiatives les perturbations et les effets nocifs qui résultent justement de ce mode d'action.

Il faudrait se tenir informé et lire régulièrement les études de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ou d'autres organisations renommées et influentes afin de tenir compte de leurs constats. Tous les résultats publiés par l'OMS qui concluent qu'un produit chimique a des effets négatifs sur la flore, la faune et / ou l'environnement et qu'il représente un danger pour l’être humain ne manqueront pas d’être utilisés dans le cadre de procédures judiciaires aux États-Unis. Les condamnations se chiffrant à plusieurs millions de dollars liées au glyphosate (pesticide) sont en partie le fruit d’une divergence d'opinion entre l'OMS et l'Agence américaine de protection de l'environnement (USEPA) sur le lien entre l’utilisation de ce pesticide et la prolifération de cancers.

 

Perception du risque

Tant qu'il n'existe pas de preuves scientifiques solides qu'un produit chimique particulier est susceptible de causer des dommages aux animaux ou d’être tenu pour responsable d'effets nocifs sur la santé humaine, il est peu probable que les dépôts de plainte se multiplient. Toutefois, si une étude « révolutionnaire » établit un lien entre une substance chimique et des effets nocifs sur la santé humaine, des plaintes ne manqueront pas d’être déposées, en particulier, mais pas exclusivement, aux États-Unis. Il est tout à fait envisageable qu'un avocat décide de prendre la tête d'une action en justice afin de s'établir comme « meneur » dans de tels dossiers.

Si, dans le contexte de « l'économie circulaire » et du « droit à la réparation », les directives relatives à l'éco-conception sont étendues au delà des produits liés à la consommation d'énergie, beaucoup plus de produits ou de secteurs seront concernés. Les répercussions sur la protection des produits et des consommateurs sont évidentes. L'allongement des cycles de vie des produits entraîne un emploi plus long de ceux-ci et, par ricochet, une probabilité accrue de dommages. Il faut en outre s'attendre à ce qu'une telle évolution provoque une recrudescence des rappels de produits (plus fréquents et plus étendus que par le passé). Le législateur européen pourrait, d'une part, introduire une responsabilité causale aggravée en cas de non-conformité des produits et, d'autre part, adapter les délais de garantie légaux à la durée de vie des produits.

 

Pertinence en matière de responsabilité civile

Au regard d’une responsabilité pour dommages corporels et matériels, c'est surtout la responsabilité du fait des produits qui est en ligne de mire. Une responsabilité pour les dommages corporels est déjà envisageable aujourd'hui pour les fabricants. Par ailleurs, il ressort de divers litiges récents qu'outre le fabricant de produits inquiétants (produits chimiques / substances / matériaux), d'autres entreprises de la chaîne de création de valeur risquent de plus en plus de se voir mises en cause. Il ne faut pas exclure non plus une action en responsabilité civile pour dommages environnementaux.

 

Pertinence en matière d'assurance de la responsabilité civile

Si des dommages corporels et / ou matériels sont causés à des tiers en rapport avec un produit, ils sont en principe couverts par l'assurance responsabilité civile d'entreprise. Selon les cas, les dommages économiques purs (dommages pécuniaires) peuvent également être inclus dans l'assurance responsabilité civile. La couverture d'assurance dépend alors, d'une part, de l'étendue de la couverture accordée et, d'autre part, des circonstances concrètes qui ont conduit au sinistre.

Les secteurs fortement touchés par les nouvelles réglementations sur l'économie circulaire devront revoir leurs produits, ce qui peut se répercuter négativement sur la sécurité des produits et la qualité du risque dans le portefeuille des assureurs en responsabilité civile.

 

Horizon temporel pour les prétentions assurées

Afin de minimiser autant que possible les futures élévations de prétentions, il est nécessaire, dans une démarche de prévention, d'échanger activement avec les autorités sur les interdictions concernées ainsi que sur l'évolution des réglementations relatives à l'économie circulaire.

Définition «risques émergents»

Les nouvelles technologies et l’évolution de la société moderne sont porteuses de nouvelles opportunités, mais aussi de nouveaux risques. Ces risques d’un nouveau genre concernent notre vie future. Du fait de leur évolution dynamique, ils sont difficiles à identifier et à évaluer; c’est ce que l’on appelle les risques émergents. La notion de «risques émergents» n’est pas définie de manière uniforme. En assurance, elle désigne habituellement les risques possiblement susceptibles de survenir dans le futur et affichant une potentialité de sinistres élevée.