Urs Berger, Président de l’ASA
Urs Berger, Président de l’Association Suisse d’Assurances ASA
Conférence de presse, 2 février 2017
Zurich
Seul le texte prononcé fait foi.
Mesdames et messieurs,
Bienvenue à la conférence de presse annuelle de l’Association Suisse d’Assurances.
Pour commencer, je dresserai le bilan de l’exercice précédent réalisé par les assurances privées suisses et commenterai les principaux défis politiques d’aujourd’hui. Puis, Ivo Furrer et Joachim Masur, membres du Comité de l’ASA, ainsi que Thomas Helbling, notre nouveau directeur, aborderont brièvement nos positions relatives à la réforme de la prévoyance vieillesse, à notre rôle face au changement climatique ainsi qu’en matière de protection des données et de digitalisation. Après les différents exposés, vous aurez l’opportunité d’approfondir les thèmes de votre choix en petits groupes.
Les taux d'intérêt faibles et les exigences élevées en capital mettent à mal les affaires d’assurance-vie
Les taux d'intérêt faibles et les exigences élevées en capital donnent du fil à retordre aux assureurs-vie plus qu’aux autres branches d’assurance. Avec un recul de 6 %, le volume des primes s’inscrit nettement à la baisse par rapport à l’année précédente. Je l’avais prédit il y a un an à cette même occasion. Les recettes de primes se sont émoussées en vie individuelle comme en vie collective. Les assureurs-vie ne peuvent pratiquement plus offrir de garanties de taux. Par ailleurs, la pression tarifaire rend différents produits d’assurance-vie tellement sobres que leur offre n’est plus intéressante, ni pour les clients, ni pour les assureurs. Les rendements réalisés par les produits ne suffisent plus à couvrir les frais administratifs ni à indemniser correctement le risque.
En vie collective, les solutions d’assurance complète sont toujours prisées. Contrairement aux caisses de pension, les assureurs-vie offrent des garanties uniques en prévoyance professionnelle. Ce sont essentiellement les petites et moyennes entreprises qui ont besoin de pouvoir confier aux assurances-vie les risques inhérents à la prévoyance professionnelle. Là encore, les exigences élevées en capital et, surtout, la faiblesse des taux ne facilitent pas la tâche aux assureurs-vie qui peinent à maintenir leur offre. Le manque d’attractivité transparaît dans le recul des primes uniques.
Les assurances vie individuelle financées par prime unique affichent une régression de près de 30 %. L’absence de promesses de taux garantis les rend inintéressantes. En revanche, l’assurance de risque continue de jouer un rôle important. En vie individuelle financée par primes périodiques, les assurances-vie offrant une couverture des risques et une épargne régulière demeurent prisées et témoignent d’une certaine stabilité. Les produits liés à des fonds sont aujourd'hui peu attractifs à cause de la faiblesse des taux d'intérêt et de la volatilité des marchés.
Les assureurs dommages continuent leur progression
En affaires de dommages, les assureurs ont conforté leur position. En moyenne, leur croissance est légèrement inférieure au niveau du produit intérieur brut de la Suisse, lequel est pronostiqué à 1,5 % par le SECO. Les assurances de personnes ont progressé de 1,7 %, soit légèrement mieux que les assurances de choses avec +0,5 %. En 2016, la sinistralité a été dans la moyenne des années précédentes. En dépit d’un deuxième trimestre fortement touché par les intempéries, la charge des dommages a été plus favorable sur l’ensemble de l’année en comparaison annuelle.
La branche automobile s’est une nouvelle fois consolidée. La multiplication du nombre de véhicules en circulation et des nouvelles immatriculations ont contribué à cette nouvelle augmentation, même si les primes demeurent sous pression dans ce segment. Les autres assurances de dommages, en particulier les assurances de protection juridique et celles couvrant diverses pertes financières, affichent une embellie. Par contre, les assurances incendie, dommages naturels et autres assurances des dommages matériels ont souffert de la pression tarifaire.
Comme je l’ai déjà signalé, les assurances de personnes enregistrent une évolution réjouissante. Les assurances complémentaires aux assurances obligatoires demeurent prisées et se sont raffermies de 2 % en assurance-accidents comme en assurance-maladie complémentaire.
L’ensemble de ces résultats atteste de la solidité et de l’efficacité des assureurs privés suisses. La faiblesse des taux et les exigences élevées en capital demeurent préoccupantes, car elles pèsent sur les marges et réduisent l’attractivité des produits d’assurance. Ceci vaut surtout pour les affaires vie. Cette année encore, l’ASA s’efforcera de convaincre les politiques, les pouvoirs publics et l’Autorité de surveillance que des exigences appropriées en capital ne sont pas uniquement dans l’intérêt de la prospérité de la branche de l’assurance, mais aussi de celui de toute l’économie suisse.
2017 – une année charnière
Laissez-moi considérer 2017 et les années à venir. J’opte sciemment pour un champ de vision plus large que d’habitude, car je suis convaincu que nous sommes à un tournant et que nous entrons dans une nouvelle ère qui comporte encore un grand nombre de facteurs d’incertitude. Nous devons réagir face à ce défi, même si nous n’avons pas encore toutes les réponses. Les nouveaux enjeux touchent tous les domaines de la vie, de la politique, de l’économie et de la société.
Depuis deux semaines, les Etats-Unis ont un Président qui explique au monde via Twitter ce qu'il estime juste et injuste, contournant ainsi le quatrième pouvoir ; un président encore qui influe sur les cours des actions par ses tweets et qui ébranle le monde par ses décrets. Et il y a la Chine. Pendant la visite officielle du couple présidentiel, nous avons pu assister à la nouvelle affirmation de l’Empire du Milieu qui – en dépit de l’accord de libre-échange et du Renminbi-hub – ne nous paraît pas très net, qu'il s’agisse simplement de sa taille et de la manière dont il traite les droits de l’homme. Il y a le président de Russie qui provoque avec jubilation, du moins il en donne l’air, de nouvelles tensions. Les Etats sont de plus en plus tournés sur eux-mêmes. Ils se désolidarisent, sapent le libre-échange et, par conséquent, la prospérité. Il y a la Grande-Bretagne. La Première ministre, Madame May, a déclaré mi-janvier dans son discours d’orientation le retrait total du Royaume-Uni de l’UE. L’ordre mondial et l’organisation du marché devraient s’en trouver bouleversés – ainsi que les conditions d’exercice des assureurs suisses actifs à l’international.
Difficultés à l’échelle mondiale et level-playing-field
Les assureurs actifs à l’international, et avant tout les assureurs de l'industrie et les réassureurs, ont besoin d’un accès aisé au marché mondial, car ils réalisent la majeure partie de leur volume de primes à l’étranger. Pour eux, il est très important que la Suisse négocie avec la Grande-Bretagne un accord sur l’accès au marché qui ne compromette pas les chances des assureurs suisses sur le marché mondial.
Concernant l’accord sur les assurances qui devrait être ratifié entre l’UE et les Etats-Unis, la manière dont la Suisse arrivera à se positionner est également très importante. Si ledit « Covered Re/Insurance Agreement » entre en vigueur, les assureurs européens exerçant aux Etats-Unis n’auront pas besoin de constituer autant de réserves que leurs homologues suisses. Il ne faut pas que les assureurs suisses actifs à l’international soient désavantagés. Aux politiques d’agir. Et avant, c’est aux citoyens: j’affirme ici clairement que le maintien et le développement futur de la place de réassurance de Zurich dépendent de l’issue positive de la votation sur la RIE III. Le substrat fiscal, mais aussi la concentration de main d'œuvre qualifiée et notre savoir-faire ne doivent pas quitter Zurich ni la Suisse.
En Suisse, la plupart des assureurs-vie et des assureurs dommages du segment des affaires de particuliers exercent exclusivement sur le marché intérieur. Les transactions transfrontières leur sont interdites. lls ne sont favorables à une ouverture du marché que si leurs homologues étrangers, en particulier leurs concurrents européens, sont soumis aux mêmes règles. Or, nous sommes encore bien loin d'un level-playing-field, surtout en termes d’exigences en capital. En Suisse, celles-ci sont toujours jusqu’à deux fois plus élevées que dans les pays de l’UE. La sécurité et la fiabilité sont des caractéristiques distinctives de l’économie suisse – et de la branche de l’assurance. Or, le prix à payer – les exigences en capital justement – doit rester dans une proportion raisonnable par rapport à ce qui est applicable à l’étranger. Point commun de toutes les branches d’assurance, les difficultés qu’elles rencontrent dans cet environnement de taux bas persistant.
Empêcher la désolidarisation de la société
Nous devons nous protéger contre la désolidarisation de la société. Je l’affirme en tant qu’individu, mais aussi en ma qualité de représentant d’une branche pour laquelle la solidarité constitue le principe fondateur. Dans notre cœur de métier originel, nous devons aussi nous montrer prudents et responsables, tout en pensant et en agissant globalement et à grande échelle. La généralisation de la numérisation est porteuse d’opportunités et de risques, elle définit de nouvelles règles du jeu. Elle remet aussi de plus en plus souvent en cause le principe de «solidarité». Il suffit d’évoquer l’exemple des tarifs individualisés déterminés en fonction du comportement individuel de l’assuré.
A l’heure actuelle, nous n’avons pas encore de réponse à apporter à nombre de ces nouveaux défis. Mais nous y réfléchissons et y travaillons d’arrache-pied. Pour certaines questions, nous avons déjà des réponses, comme avec la réforme de la prévoyance vieillesse. Ivo Furrer va vous présenter la situation telle que la voient aujourd'hui les assureurs. Le thème suprême de la société vieillissante mérite un traitement approfondi pour être compris et traité dans toute sa dimension. Sur d’autres thématiques, nous avons procédé à des états des lieux. Par exemple concernant le changement climatique. Joachim Masur va vous en expliquer les implications pour le secteur de l’assurance. La digitalisation est, pour reprendre l’expression de Fontane, «un vaste champ». Les cyberrisques sont au cœur de cette problématique. Et la protection des données doit aussi être repensée. Thomas Helbling vous fera part de nos premières réflexions relatives à la consultation sur la loi relative à la protection des données.